dimanche 24 mai 2009

Monte Frisco

D’abord on y a pas cru : c’était un plaisancier marseillais arrivé à l’aube sur son douze mètres « La sardine » qui, surexcité, avait annoncé la nouvelle. C’est pas une sardine marseillaise qui va boucher le port d’Ajaccio. Les autorités portuaires, la préfecture, la gendarmerie, et les pompiers convoquèrent une réunion à l’issue de laquelle on décida d’attendre. De toute façon les canadairs étaient sur Bastia, les hélicos de la sécurité civile en pleine évacuation de femmes enceintes, et l’armée avait déjà un exercice sur la Sardaigne. Sur le coup de dix heures alors que le soleil de mai commençait à chauffer la rumeur revint par des surfeurs qui côté golfe de lava s’étaient chevauchés une série de déferlante de six mètres de haut ! Du jamais mais bon, c’est de la parole de surfeur aussi. Enfin le Napoléon Bonaparte, l’orgueil de la flotte corse, un ferry avec au moins trois cheminées, trois piscines et trois mille vacanciers dans le tiroir entra dans le port sonnant de la trompe comme un éléphant fuyant un incendie de brousse. A peine amarré des dizaines de gens sortirent en hurlant, le rouge aux joues, hirsutes et il fallut un quart d’heures pour écouter ce qu’ils avaient à dire tellement ils braillaient tous en même temps. « On a heurté un iceberg » dit un anglais. La nouvelle fit le tour de la ville et elle courut jusqu’à l’heure de l’apéro. Un iceberg ? En Méditerranée ? Tout le monde se précipita pour voir le bateau : il y avait bien un trou à l’avant mais ça pouvait aussi bien être un sous-marin français en manœuvre. A trois heures pourtant il entra dans le golfe. C’était un Everest congelé d’au moins mille mètres d’altitude en belle glace bleue et rose, un monument scintillant et sublime. Tout le monde leva la tête. Et la température tomba de 10 degré. C’était comme si on était revenu en février. Il avançait lentement cachant le soleil, obturant l’horizon, la lumière ricochait sur lui. Les gens restèrent sur les quais de la ville, le long de la route des sanguinaires et sur toute la rive sud pour voir ce morceau de banquise les surplomber. A minuit il y eu un bruit profond, énorme, une vibration musicale, un chant de serrac : l’iceberg avait rempli le golfe, il y était comme amarré. Et il ne bougea plus. Le lendemain matin Ajaccio était une ville à l’intérieur des terres. Les bastiais vinrent voir. Les cortenais en entendirent parler, à Porto-Vecchio on préparait la saison.
(à suivre)

Denis Parent

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