mardi 5 mai 2009

UNE SALE PETITE HISTOIRE

« Où veux-tu en venir ? » me demandait Alex et je lui répondais « Nulle part, nulle part. Mais si tu t’en vas, je te retrouverai et je te tuerai. ». Et je ne bougeais pas du lit où j’étais étendue, je ne faisais aucun geste déplacé, je me contentais de lire le roman que j’avais entre les mains, un roman à la couverture écornée, un roman que j’avais dû bouquiner au moins cinq à six fois. Et Alex se promenait dans l’appartement, un appartement important, très classe, très spacieux, et il regardait par l’une des fenêtres de cet appartement et il murmurait, le nez presque collé au carreau : « La ville est grande, il y a des milliers de cachettes. Le monde est gigantesque, j’ai sûrement des chances de m’en sortir. ». Et je souriais derrière la couverture écornée, je souriais maligne, déterminée, je souriais blessée, cœur saignant mais prédatrice, tueuse, folle, prête à tout pour qu’Alex ne s’en sorte pas, pour qu’il oublie l’autre salope rencontrée au hasard de rien, et je répétais, voix blanche, mécanique, monocorde, sans issue : « Je te dis seulement ça : Si tu t’en vas, je te retrouverai et je te tuerai. C’est tout. ». Et Alex n’en croyait pas un mot. Et Alex n’avait pas peur de mourir. Et Alex aimait l’autre salope de hasard. Et Alex riait, riait pour m’énerver, il se moquait avec son corps élancé, ses cheveux courts et châtains, ses mains fines fines qui ne caressaient plus, ses yeux verts envolés ailleurs, trop ailleurs, insouciant, amoureux, vivant, assez dingue pour jouer au chat et à la souris. « Je te tuerai, Alex. Je te retrouverai et je te tuerai. ». Et son rire montait dans l’appartement très classe, très spacieux et il glissait dans chaque pièce, chaque recoin et je ne pouvais plus l’attraper, plus le cajoler, il était déjà à quelqu’un d’autre, il prenait du large et je savais que jamais je ne retrouverai Alex, je savais que la mort se foutait de posséder son corps, et j’étais triste derrière la couverture écornée, j’étais seule et triste et je lisais « After Delores », after Alex, pour la cinquième ou sixième fois. J’en étais là, au chapitre un. Là, avec un flingue, une errance, un flingue et une furieuse envie de m’en servir.

Chloé Alifax.

1 commentaire:

  1. pas grand monde se souvient de Sarah Schulman, dommage, on peut relire "After Dolores" — et non "Delores", pardon Chloé…— plusieurs fois et notamment le chapitre un, qui se termine sur le mot pistolet… Encore faudrait-il retrouver un exemplaire paru en 1991 chez l'Incertain. Ce qui est très incertain, sinon improbable.

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