jeudi 4 mars 2010

ELLE CONTINUE DE REGARDER FIXEMENT LA LAME

...Et elle s’est longtemps demandée pourquoi je l’avais virée, cette garce et pourquoi je ne revenais pas sur ma décision. Elle m’a téléphoné plusieurs et plusieurs fois et j’ai fait la sourde oreille et je l’ai encore et encore injuriée sans qu’elle ne le sache. J’ai continué à respirer, à écrire, à répondre rapidement à des gens qui essayaient de me piéger puis qui se lassaient et dont je n’entendais plus parler. Elle rôdait sous mes fenêtres, me suivait incognito jusqu’à mon travail, se jeter dans mon ombre afin de s’y confondre. Je crois qu’elle a voulu une dédicace mais je n’en donne à personne. Ni à elle ni à ceux qui me sont davantage éloignés. Au bout de quelque temps, elle m’a enfin trouvée ignoble et j’ai commencé à recevoir des insultes par e-mail, courrier, téléphone. Je l’ai mal vécu, je me suis résignée à attendre que cela lui passe et j’ai quitté mon travail, et j’ai quitté ma terre, et j’ai occupé un appartement assez vieux et je me suis expatriée. Elle est de nouveau avec quelqu’un. Un garçon de son âge qui peint et pique des crises. Je l’ai su par une fille proche d’elle. Elle m’a dit qu’elle avait souvent pensé à me tuer mais qu’elle avait eu peur de la prison et tout ça. Quelle ânerie ! Parfois, il m’arrive de taper son prénom en répétition, d’en faire des wagonnets sur l’écran de mon ordinateur. Puis, hop ! de tout effacer d’un unique mouvement de doigt. Nous finirons bien par nous revoir et je l’inviterai à prendre un café et elle acceptera ou me crachera au visage. De la peinture et des crises. Seule, la discipline artistique change pour elle. Je me doute qu’elle continue de regarder fixement la lame, en transe, je me doute qu’elle nous aperçoit dans le reflet de la lame. Mais troubles, de plus en plus troubles. Elle adorait les histoires qui se terminent bien, je n’en étais pas là. Toujours pas, d’ailleurs. Elle adorait les histoires qui se terminent et elle aurait voulu continuer. Je lui ai écrit la fin en lui faisant croire que ce n’était qu’un roman de plus mais son imagination est restée bloquée et la réalité s’est mise à la dévorer. Là où je suis, les gens parlent de tout autre chose. Ils ne discernent pas l’ombre dans mon ombre et se contentent de nous piétiner. Je ne m’écarte jamais, je les laisse s’amuser. Ils rient puis je pleure. Aussi atroces soient ils, les bourreaux souffrent aussi, meurent et ne ressuscitent jamais. Uniquement les cris de rage se répercutent en échos pour se confondre en sangs mêlés dans un ciel pétrifié. La lame se tord sous la douleur, elle ouvre une porte pour s’échapper, je tire le rideau, la scène est close, dé
mon
tée.

Chloé Alifax.