mercredi 20 mai 2009

Yves est mort ce matin

Yves est mort ce matin. Les muguets fleurissent autour des fenêtres. C’est le mois de mai. La tête roule contre le mur, les yeux sont blancs, presque vides. Le médecin a posé sa main sur son thorax. Il n’a pas souffert. Il est parti tout seul, laissant le cancer derrière lui, comme une mauvaise bête, un rongeur dérangeant / Je regarde Yves. Son torse nu, ses jambes en sommeil. J’ai demandé à garder un peu le corps. Il n’a jamais fait aussi chaud depuis dix ans. C’est le sud. Le linge flotte à la fenêtre, le jour ne se couche jamais. Les odeurs de viande absorbent la pièce. Il est midi ou minuit. J’éponge Yves. Je retire les draps. J’y tenais / Un homme doit s’endormir pour l’éternité dans un linceul. Yves m’avait dit : ich sterbe. Il fumait beaucoup. Deux paquets de Gauloises bleues par jour. Parfois des jaunes. Il fumait à la chaîne, sur le balcon, un cendrier sur les genoux. Il regardait la ville en dessous. La foule. Les voitures. Les filles en short. Les filles aux cheveux rouges. Les garçons maigres de moins de quinze ans. Il disait, pour oublier, je m’enfume. Il coupait aussi ses cigarettes en deux. Pour qu’elles durent plus longtemps. /Hier encore, il prenait son café sur la table de cuisine rouge. Les rayons de soleil, verticaux, chutaient en flaque blanche sur ses mains usées. Nous venions de nous lever. Nous venions de faire l’amour. Il était nu. Je l’étais aussi. La cafetière à la main, il avait prononcé cette phrase, d’une manière tout à fait anodine. Ich sterbe. J’avais cassé un verre. Yves n’avait pas cillé. Il pensait à Tchékhov à Badenweilen. A sa manière polie, de se retirer du monde en s’excusant.

Roxane Duru

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Je suis enseignante de FLE. Avec mes élèves nous avons lu votre texte.

    Voici le commentaire d'une élève:

    Le texte était fascinant :)

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