dimanche 10 mai 2009

UNE CHOSE ENTRE AUTRES


Par exemple, je pose un personnage et je lui dis d’attendre, qu’il soit patient parce qu’il faut que je construise le décor autour de lui, que je lui trouve une situation, des amis, ennemis, une façon d’être qui ne peut appartenir à personne d’autre. Et je vais à mon travail, mon travail de serveuse. Un travail que j’exerce dans un petit restaurant snack et bar. Un établissement carré qui se situe en face d’une gare, un rond-point, immeubles bureaux, « A louer », « A vendre », « Occupés ». Et je ne cesse de penser à mon personnage, je le vois en train de poireauter, de se dire « Qu’est-ce qu’elle fout ! » et de soupirer soupirer à en faire bouger les murs de l’appartement. Le travail que je fournis n’est pas si désagréable que ça. C’est un travail debout, sur les deux jambes, pas le temps de jouer les hérons, flamands roses ou grue, il faut actionner la pompe à bière, décapsuler les bouteilles chapeau ferraille, nettoyer tables puis servir servir les assiettes salades, viandes, frites, sandwichs et desserts. Je vais fumer dans l’arrière-cour. Je m’assois sur une chaise plastique vert et je fume à la va-vite entre quatre murs qui ne refusent pas le lierre grimpant chatouilleux. Et pendant que je fume, je continue à penser au personnage, à l’histoire un peu dingue que je vais tenter de lui faire vivre, au sexe, à l’amour, aux remises en questions, à la violence qui peut surgir à tout moment. Et le personnage a besoin de remuer, même dans le huit-clos de l’appartement désert, le personnage à très très envie de gesticuler. Et « Ok, d’accord, t’as le champ libre ! » et le voici qui se lève, va à la fenêtre, ouvre le frigo, rigole devant la télé, tape tape sur les touches clavier de l’ordinateur et envoie des messages à des gens, qui ne sont pas de moi. Je grimace, je pense : « Tu exagères ! » puis j’écrase dans un cendrier chameau ou dromadaire, la fin de ma cigarette fumée à la va-vite. C’est un travail debout, sur les deux jambes, un travail qui actionne, actionne les bras, les hanches, la cervelle en trampoline. Et je ne porte pas de tenue particulière. Je suis identique à ma vie extérieure, ma vie hors restaurant snack et bar, les cheveux attachés avec un élastique, le sourire aux lèvres, pas le sourire, la politesse serveuse, le « j’en ai marre ! » quelquefois, l’équilibre sur une jambe : jamais.
Ni héron ni flamand rose ni grue.
Et puis à la débauche, tard ou pas trop, à la débauche après avoir rangé, astiqué, dis des mots comme « A demain ! », « C’est ça », « Bonne soirée… nuit… journée », à la débauche sur les deux jambes, rotules, à cloche-pied, à la sortie du restaurant snack et bar, il m’attend près de la gare, le long des immeubles bureaux, il sourit et il me lorgne tandis que j’avance dans sa direction, tandis que je suis fatiguée, énervée, électrique, il me fixe et je m’exclame, je fais les gros zieux et je m’exclame : « Je ne veux pas que tu sortes ! c’est dangereux pour toi. Tu n’es pas… tu n’es pas encore complètement terminé. Tu n’es qu’une ébauche. ». Et c’est vrai, c’est la réalité. Le personnage est biscornu, à la tête de travers, un sourire à l’envers, des mots phrases tel du gruyère, trous, râpés, tout troués.
- Oh, ça va ! il me répond. On n’y va pu se disbatter !
Ça me fait rire (glousse glousse), je lui prends la main et je déclare :
- Allez, à la maison ! j’ai une idée qui grimpe, qui grimpe.
La nuit, je dors en compagnie du personnage. Il y a aussi des routes et des virages, de la campagne et des endroits verrouillés. Des assiettes, des verres, des tables et puis des chaises, une arrière-cour avec du lierre, un cendrier chameau ou dromadaire, des pompes à bière.
Je dors profond profond. A mon réveil, je bois du café et pense « Oh, merde ! j’ai pas envie. ».
Le personnage est déjà levé, il fait du charme à son ami(e). Je les laisse se découvrir. Ce soir, ils seront deux à venir me chercher, en voiture, en scooter ou à pied.
Héron héron petit patapon !

Chloé Alifax.

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