samedi 27 juin 2009

JUSTE UNE PLUME ET DE LA CABRIOLE

Au début, il y a eu un engouement. Oh, quel sale et moche mot que cet « engouement » ! Mais au début, il y a eu des baisers, des sourires, des caresses caresses, des fleurs pleines de pollen pique du zen. Et la butinerie a ressemblé à de la mutinerie, au début, au milieu, à la fin. The end, the end. Que c’est il produit pendant l’engouement ? Où a disparu la voiture jaune et toutes les boîtes, l’arc-en-ciel, la croix de bois croix de fer, si je mens, je m’enterre ?
- Voyez-vous, ma chère Chloé, vous êtes dans le frigo avec les cornichons et vous croquez et vous croquez, mais… le vinaigre a tourné. Est-ce qu’un vinaigre peut tourner ?
- Autour du pot ou du bocal, tourne et retourne au vinaigre. Les cornichons sont si croquants. Un peu d’acide sur les gencives, toujours serrées, boîte à sardine.
- Et venez ici et partez là-bas ! soyez donc vigilante, ma chère Chloé ! N’abusez pas de vous amuser. On vous guette de la glacière, les glaçons fondent sur vous.
- Les frigos n’ont plus de freezer, ils sont américains. Je suis copine des cornichons qui finiront dans l’hamburger. Le ketchup est un massacre, il saigne du matin jusqu’au soir, il a une éééénooooooorme hémorragie !
- Mais si par magie, vous vous évadez du chapeau, trouvez du noir, trouvez du rouge et camouflez-vous. Ne fumez que la nuit, c’est un conseil. On vous prendra pour un feu follet.
- Affolée. Combien je vous dois ?
- Deux et deux quatre et cinq trois cent. N’essayez pas de me gruger !
- Blessure que non !

Donc au début, il y a eu un engou… ce mot sale et moche qui signifie : « Obstruction de l’intestin au niveau d’une hernie. » Ou bien…
c’était un goût vif et soudain pour ce quelque chose de quelqu’un. Des bonjour, salut, bonne nuit et chope chope chope ! des bisous, des zieux fous, des cœurs au rasoir, jolies jambes que voilà et taille de guêpe aux lunettes mouches. Des petites ombrelles au dessus de la glace, des coquelicots dans des champs de thé, « Vous tapez si vite, mademoiselle Chloé ! Ooooh , le chariot est un traîneau ! ». A saute bourdons, je suis la meilleure. Légère légère sont les larmes près de la civière et le gyrophare en giroflée, quel est son parfum, sa couleur, son poison de cornichon ?
- Bientôt, ma chère Chloé, il y aura de la terre et des mers de coquillages. Je pense… oh, j’en suis même certain, que votre déluge est imminent. J’ai l’œil, vous savez ! L’œil du lyn…
- Larynx. Tentez plutôt de dessiner avec une plume et des cabrioles. Faites des pirouettes et dessinez sur du papier crêpes, crépon. J’écris dans le désordre ce qu’on attend dans l’ordre. Juste une plume et de la cabriole. Avez-vous un rocher à me prêter ?
- Non, le naufrage n’est pas un chat perché. Vous étiez dans un frigo, vous êtes désormais à vau-l’eau. Courant courant vers des abîmes ti-ta-nesques.
- Je périclite. Les condiments sont déjà engloutis. Qu’ai-je fait de mes derniers personnages ? Des trous dans mes poches et des poches qui étouffent. J’avais toute une famille, pourtant ! Des tifs et des tondus, des capitaines, des moussaillons. Les sirènes ne chantaient pas si faux ! et les lézards n’aiment pas l’eau.
- Vous avez donné aux morses de quoi vous envoyer des messages. Leurs codes n’étaient pas les mêmes que les vôtres. Deux + deux = trois cent, les tarifs ne sont jamais taris. Vous auriez dû vous reposer, courir en minuscules foulées. C’était une lame, un couteau. Dans le fond, c’était une lame.
- Et les notes que l’on siffle aux vieux amis ! J’étais seule ! tout le temps, j’étais seule ? !
- Ma mère n’a jamais aimé la confiture et cependant, elle en a mangé. Pour être avec nous, moi et mon frère. Pour participer aux petits déjeuners, chaque matin de notre enfance.
- J’étais seule, alors ! complètement seule.
- N’essayez pas de me gruger !
- Blessure que non !

L’engouement est un mot sale et moche mais il existe. Il est inscrit à la page deux cent trente quatre de mon dictionnaire. Au-dessous de lui vient « engouer », « engouffrement », « engouffrer ».
Mon préféré est « engoulevent » : Oiseau passereau qui chasse les insectes en volant le bec grand ouvert.

Je fixe le mur devant moi, il s’essouffle. Voyez un peu la façon qu’il a de se fissurer.
N’est-ce pas… adorable !

Chloé Alifax.

lundi 22 juin 2009

Petit caillou

Je suis le petit caillou dans ta chaussure. Je suis la goutte de pluie froide qui arrive à se glisser dans ton cou. Je suis le moustique dans ta chambre à deux heures du matin. Je suis le métro bondé que tu ne peux pas prendre. Je suis le pollen qui te pique la gorge. Je suis ta déclaration d’impôts. Je suis le rayon de soleil qui t’aveugle. Je suis le feu qui passe toujours au rouge devant toi. Je suis la musique trop forte chez ton voisin du dessus. Je suis ta batterie faible au milieu d’une conversation. Je suis le caprice d’un enfant assis près de toi dans le train. Je suis ta soirée ennuyeuse qui s’éternise. Je suis ton robinet qui fait plic ploc. Je suis le manque de sommeil de ton lundi matin. Je suis la grève des transports. Je suis le cheveu blanc que tu n’avais pas vu. Je suis l’homme dégoûtant qui te siffle dans la rue. Je suis le cil dans ton œil. Je suis la dead-line de ton travail pas encore commencé. Je suis ta rage de dents. Je suis la sonnerie de téléphone quand tu dors. Je suis la file d’attente à la poste un samedi midi. Je suis ton sac de courses qui craque et les abricots qui dévalent l’avenue. Je suis ta migraine. Je suis celui qui ne rappelle pas qui ne rappelle pas qui ne rappelle pas. Je suis ton découvert à la banque. Je suis l’embouteillage à ton retour de vacances. Je suis le courant d’air qui fait claquer ta porte. Je suis ton RER arrêté sans raison. Je suis les frissons de tes matins de novembre. Je suis ton père qui te sermonne. Je suis ce sur quoi tu trébuches. Je suis ton paquet de cigarettes vide un dimanche. Je suis ton insomnie. Je suis les fourmis qui grimpent sous ta jupe. Je suis la chanson dans la tête que tu détestes. Je suis le café trop chaud dans ta bouche. Je suis tes factures impayées. Je suis le cauchemar dont tu te souviens la journée. Je suis ton briquet que tu ne retrouves pas. Je suis les amis en retard que tu attends sous la pluie. Je suis la fille plus belle que toi. Je suis ta mauvaise humeur. Je suis ton angine. Je suis ta grippe. Je suis ta bronchite chronique. Je suis ton mauvais sens de l’orientation. Je suis le coup de soleil sur tes épaules. Je suis le mot sur le bout de ta langue. Je suis la musique d’attente quand tu n’as pas le temps. Je suis ton doigt dans la porte. Je suis les miettes de pain dans tes draps. Je suis la clef que tu oublies de prendre en partant. Je suis le chat qui fait ses griffes sur ton nouveau canapé. Je suis la coupure d’électricité pendant ton film préféré. Je suis tes mauvaises décisions. Je suis son texto de rupture. Je suis la gorgée d’eau de mer quand tu te noies. Je suis ta noyade. Je suis tous les jours qui te séparent de l’été. Je suis le lait tourné dans tes céréales. Je suis ton collant qui file. Je suis ton talon qui casse. Je suis le mauvais goût de tes médicaments. Je suis ton petit orteil qui se cogne. Je suis le vin rouge renversé sur ta robe. Je suis le verre brisé sur le carrelage. Je suis tes fleurs fanées. Je suis la feuille de papier qui te blesse. Je suis la fin de la tablette de chocolat. Je suis la brûlure du four sur ta main. Je suis l’anniversaire de sa mort. Je suis la boucle d’oreille manquante. Je suis la chaussette manquante. Je suis la part manquante de tout ce qui va par deux. Je suis ton absence d’amour. Je suis ta frustration. Je suis ton vertige. Je suis ta solitude. Je suis ce que tu as perdu. Je suis tes limites. Je suis ta vie rêvée mais loupée. Je suis tout ce que tu ne comprends pas. Je suis tout ce qui te déçoit. Je suis tout ce que tu vomis. Je suis tout ce qui te fait mal. Je suis le petit caillou dans ta chaussure.

Fanny Salmeron

lundi 1 juin 2009

RUTABAGA CARLTON

Qui a posé ce requin marteau sur la table ? Qui a posé le commandant Cousteau mort et ce requin marteau en caoutchouc ? Qui a pleuré, chanté, coulé le navire et fait resurgir les lames de fond ? J’ai une fille de six ans, elle s’appelle Nina. Un mari de trente-huit ans et que je nomme Ferdinand. Je suis plus vieille, je suis plus vieille et c’est si bien d’avoir un mari jeune et performant. Une fille six ans et un homme trente-huit, une table, une cuisine, un appartement, voiture, pas de voiture, des jouets en caoutchouc et un commandant de bateau qui s’est fait dessouder. Parfois, Ferdinand joue avec des explosifs. Il imite le canard noir à la télé, le Daffy dingue et parle du nez avec son bec. Il se déguise en ça et puis en d’autres, il dit à Nina : « Quoi d’neuf, docteur ? » mais là, il se goure et ce n’est plus le canard mauvais poil dans ses plumes, c’est le lapin, c’est le lapin, et Nina demande : « Qui mangera qui ? » et Ferdinand se transforme en coyote et bip et re-bip, la souris mexicaine n’est jamais loin.
Je me suis baptisée « Rutabaga Carlton » parce que mon mari me trouve chou ! et que je suis rose, rosée quand il me serre dans ses bras. J’ai les hanches pleines, les fesses toutes rondes, j’ai les yeux bleus et les seins moyens. Je prononce « Ca-fe-tière » au lieu de caf’tière et « Gassse » au lieu de gaz. Ma fille Nina aime buller. Elle bulle dans une tranche horaires. Souvent c’est 16 : 30 – 18 et Ferdinand trafique des explosifs pour faire le pitre, le diable, le sale pirate et tout le tralala. On a une cour, des escaliers, un carreau brisé, des moutons dans les coins. On a un lit puis un matelas, un petit congél et une ca-fe-tière, une voiture, pas de voiture, on a des ailes et puis nos jambes, de l’avenir ? on ne connaît pas. Cette année, à l’école, la photo de groupe n’était pas si mal.
J’ai rencontré Ferdinand dans un café.
Il nageait à la surface, prêt à couler.
Je lui ai jeté une bouée et Nina s’est mise à ramer dans un studio de 20m².
- Bonjour, Nina !
- Bonjour, Ferdinand !
- Bonjour, Nina !
- Bonjour Mar…
aux canards ! On a déménagé dans cet appartement carreau brisé, escaliers, cour et lit matelas.
- Tu es chou ! Tu es rosée et chou !
Je m’appelle donc « Rutabaga, Rutabaga Carlton » et je travaille ici ou là, de telle heure à telle heure, et j’ai quatre ans de plus que Ferdinand, et plein et plein de chiffres de plus que Nina, et je travaille ici ou là pendant qu’il y a de l’explosif, un requin marteau caoutchouteux, commandant Cousteau mort. Qui a fait ça ? Qui a fait ça ?
Dans la cour, il y a un chat, il est tout blanc. L’été, on le tartine de crème sur les oreilles pour ne pas qu’il brûle, qu’il pèle, qu’il devienne coton, coton et qu’il… disparaisse.
Dans la cour il y a un chat, une souris mexicaine, un Daffy dingue, lapin coyote, bip bip et re-bip, de l’explosif.
Vous le croyez ça ?
Vous en riez ou vous en pleurez ?
« Rutabaga » ce n’est pas joli mais c’est chou.
Il y a de l’air dans les cimetières.
J’ai dix euros pour commencer le mois.
A l’explosif, je n’ai pas le choix.
Vous m’en achetez, là ?

Chloé Alifax.