dimanche 24 mai 2009

Monte Frisco

D’abord on y a pas cru : c’était un plaisancier marseillais arrivé à l’aube sur son douze mètres « La sardine » qui, surexcité, avait annoncé la nouvelle. C’est pas une sardine marseillaise qui va boucher le port d’Ajaccio. Les autorités portuaires, la préfecture, la gendarmerie, et les pompiers convoquèrent une réunion à l’issue de laquelle on décida d’attendre. De toute façon les canadairs étaient sur Bastia, les hélicos de la sécurité civile en pleine évacuation de femmes enceintes, et l’armée avait déjà un exercice sur la Sardaigne. Sur le coup de dix heures alors que le soleil de mai commençait à chauffer la rumeur revint par des surfeurs qui côté golfe de lava s’étaient chevauchés une série de déferlante de six mètres de haut ! Du jamais mais bon, c’est de la parole de surfeur aussi. Enfin le Napoléon Bonaparte, l’orgueil de la flotte corse, un ferry avec au moins trois cheminées, trois piscines et trois mille vacanciers dans le tiroir entra dans le port sonnant de la trompe comme un éléphant fuyant un incendie de brousse. A peine amarré des dizaines de gens sortirent en hurlant, le rouge aux joues, hirsutes et il fallut un quart d’heures pour écouter ce qu’ils avaient à dire tellement ils braillaient tous en même temps. « On a heurté un iceberg » dit un anglais. La nouvelle fit le tour de la ville et elle courut jusqu’à l’heure de l’apéro. Un iceberg ? En Méditerranée ? Tout le monde se précipita pour voir le bateau : il y avait bien un trou à l’avant mais ça pouvait aussi bien être un sous-marin français en manœuvre. A trois heures pourtant il entra dans le golfe. C’était un Everest congelé d’au moins mille mètres d’altitude en belle glace bleue et rose, un monument scintillant et sublime. Tout le monde leva la tête. Et la température tomba de 10 degré. C’était comme si on était revenu en février. Il avançait lentement cachant le soleil, obturant l’horizon, la lumière ricochait sur lui. Les gens restèrent sur les quais de la ville, le long de la route des sanguinaires et sur toute la rive sud pour voir ce morceau de banquise les surplomber. A minuit il y eu un bruit profond, énorme, une vibration musicale, un chant de serrac : l’iceberg avait rempli le golfe, il y était comme amarré. Et il ne bougea plus. Le lendemain matin Ajaccio était une ville à l’intérieur des terres. Les bastiais vinrent voir. Les cortenais en entendirent parler, à Porto-Vecchio on préparait la saison.
(à suivre)

Denis Parent

vendredi 22 mai 2009

CETTE FAÇON DE DEVENIR FOLLE

Toutes les portes de l’appartement sont mortes. Toutes les portes, les pièces, robinets, évier et douche qui goutte goutte goutte… Tout le lit est défait, la mascarade des murs qui s’écroulent, creuser creuser les plâtres peinturlurés, faire éclater à la dyna, dynamite les fenêtres aux carreaux déjà brisés. Il n’y a plus rien, du vide et du néant. Il y a les chaises renversées, la banquette tissu tailladée, la moche musique du ron ron frigo que voilà.
Les paroles tombent à la renverse, les mots tels des éclaboussures criminelles, les coups de pied tibias, les doigts serres aux ailes atrophiées.
Toute la confiance a dé-grin-golé. Les marches escalier qui craquent et qui re-craquent. Plus le temps, plus le temps, la rampe de lancement est huilée de fiel et de bile, roulement à bille.
Je prends mon sac, cutter et pistolet. Je prends ma main, peau sèche et larme à l’œil. Le cerveau, cervelas fait pencher le corps, le cœur, lui, fait du trampoline jusqu’à s’éclater au plafond de la toile d’araignée, mygale et mante athée.
Que disait la bouche, le soir, dans le silence ?
Et les oreilles, et les oreilles… que comprenaient-elles ?
La tête frotte le lino aux zébrures en crevasses. La tête, le front, les cheveux linceul sur le lino. La sonnerie du hall est dé-glin-guée. La boîte aux lettres : béante. Espères-tu encore du courrier cet hiver? Ou préfères-tu… te taire ?
Le ventre grogne, je suis mille cavalcades. J’ai pris cutter et pistolet. Mélange d’identité et scalp à la balle biseautée. Ma chair, tu n’as qu’à bien te tenir, te faire oublier.
Ce soir, j’irai au « Totem ». Ce bar est moche mais il sait me ligoter. Les portes sont vivantes, elles claquent et re-claquent sous les apparences. Je parlerai aux reflets et il y aura des tubes au néon comme un essaim de frelons.
« Tu disais ? » me demandera le tabouret ensommeillé.
Je lui casserai les jambes. Il restera là, près de moi, inutile.
Sans fuite ni départ.
Son unique œil ouvert perdu dans la douleur.

Chloé Alifax.

mercredi 20 mai 2009

Yves est mort ce matin

Yves est mort ce matin. Les muguets fleurissent autour des fenêtres. C’est le mois de mai. La tête roule contre le mur, les yeux sont blancs, presque vides. Le médecin a posé sa main sur son thorax. Il n’a pas souffert. Il est parti tout seul, laissant le cancer derrière lui, comme une mauvaise bête, un rongeur dérangeant / Je regarde Yves. Son torse nu, ses jambes en sommeil. J’ai demandé à garder un peu le corps. Il n’a jamais fait aussi chaud depuis dix ans. C’est le sud. Le linge flotte à la fenêtre, le jour ne se couche jamais. Les odeurs de viande absorbent la pièce. Il est midi ou minuit. J’éponge Yves. Je retire les draps. J’y tenais / Un homme doit s’endormir pour l’éternité dans un linceul. Yves m’avait dit : ich sterbe. Il fumait beaucoup. Deux paquets de Gauloises bleues par jour. Parfois des jaunes. Il fumait à la chaîne, sur le balcon, un cendrier sur les genoux. Il regardait la ville en dessous. La foule. Les voitures. Les filles en short. Les filles aux cheveux rouges. Les garçons maigres de moins de quinze ans. Il disait, pour oublier, je m’enfume. Il coupait aussi ses cigarettes en deux. Pour qu’elles durent plus longtemps. /Hier encore, il prenait son café sur la table de cuisine rouge. Les rayons de soleil, verticaux, chutaient en flaque blanche sur ses mains usées. Nous venions de nous lever. Nous venions de faire l’amour. Il était nu. Je l’étais aussi. La cafetière à la main, il avait prononcé cette phrase, d’une manière tout à fait anodine. Ich sterbe. J’avais cassé un verre. Yves n’avait pas cillé. Il pensait à Tchékhov à Badenweilen. A sa manière polie, de se retirer du monde en s’excusant.

Roxane Duru

vendredi 15 mai 2009

Youth Beware!



Youth Beware! – Erwan Denis, 2009.

jeudi 14 mai 2009

Le train passe sur la gorge de mon ennemi

Le train passe sur la gorge de mon ennemi, mais parce que le temps est gris, parce que le temps aigrit, je désespère de me retrouver chez moi. Qu’y aura-t’il là-bas chez moi ? Les fantômes de petites mariées en blanc flairant les aubes sales. Des moutons courant le long des plinthes, courant le long des plaintes. Je suis un homme intempérant. Je suis îvre de maintenant, à jeun d’hier, en jeune de demain. Et pas si jeune, mon dieu pas si jeune. A peine vieux pourtant, juste un soupçon, comme un ogre qui gronde au loin. Pardon je voulais dire un orage qui gronde au loin. Je ne songe plus guère aux ogres, je les aimais enfant mais c’est fini. Je ne songe plus guère aux orgues, je les aimais si grandes quand j’étais si petit et qu’on me voulait enfant de dieu.

Le train passe sur la gorge de mon ennemi, nous aurons nos escarbilles de sang. De ses caillots nous jouerons aux billes. Le train passe dans la gorge, on entend chanter les torrents, l’air est rouge dans les abimes crépus du crépuscule. Nous sortirons de la gorge en remontant vers le col. Et l’on verra la baie. La baie où naissent les anges, où béent les douleurs fossiles, où demeurent ceux qui meurent. Et je dirai merci. Merci de m’avoir aidé. De m’avoir donné demain. De m’avoir gardé les matins.

Mon ennemi, c’est ma faute, désespère de moi. Il meurt longtemps et ne meurt jamais complètement. Il a une gorge de femme et elle a une gorge d’homme. Mon ennemi ne me nomme pas. Il passe sous le couteau du train et m’enterre dans sa plaie comme s’il voulait refermer les lèvres de ma naissance.

Denis Parent

mardi 12 mai 2009

POURQUOI LA MORT EST SI PETITE ?


Demandait Liza, le nez en piqué sur son verre.
POURQUOI L’AMOUR EST IDIOT ET LA MORT SI PETITE ?
Continuait-elle à questionner tout en mordillant la paille torsade, torsadée.
Et Liza regardait en coin, et Liza faisait des grimaces pour la contenance, et Liza répétait :
LA MORT SI PETITE, L’AMOUR IDIOT, L’AMITIÉ DE MOITIÉ. POURQUOI ?

Liza avait connu des mains et des doigts, des grains de peau et des zieux qui dansaient,
de la soupe au vermicelle ainsi que des sexes tout trempés. Liza chantait le refrain, celui qui s’interroge, la musique tonitruante, les paroles qui s’envolent.

POURQUOI POURQUOI POURQUOI ? ? ? JE T’AIME DE TRAVERS ET JE T’ADORE EN SERPILLIÈRE. JE FAIS DES BONDS PUIS JE TOMBE À PLAT. ŒUF À LA COQUE OU BIEN POCHÉ. POURQUOI LA VIE CÔTOIE LA MORT ?

Liza buvait des sodas, des rouges des jaunes et des vert lézard,
elle s’installait au coin du comptoir, me voyait mais ne me voyait pas, elle disait parfois :

CHLOÉ, TU ESSUIES DES VERRES. CHLOÉ TU ES UNE CHANSON. CHLOÉ, ON TE SIFFLE DANS LES RUES. CHLOÉ, TU AS UN REGARD DE MANGEUSE DE DISQUES.

Et Liza replongeait dans sa soupière, son existence liquide et amère, sucrée ou acidulée.
Et Liza parlait des courants d’air, de la mer asséchée, de la roche, des falaises, du fait d’être mal à l’aise et de sautiller près du précipice.
Et Liza insistait :

MANGEUSE DE DISQUES !

Et Liza chantonnait :

« Le loup est dans la bergerie N’y faites pas attention Il n’y voit pas du tout la nuit Ce loup est un couillon Il ne mange que des orties Et ne joue pas à saute-mouton »

Je servais des sodas à Liza et ses questions.
Je ne servais aucune réponse à Liza sans horizon.

La mer, les roches, la tempête.
Liza avait des cheveux tranchants qui lui coupait l’espoir.
Liza comptoir 16 : 05 et Liza partie 19 : 21.
Les trains voyageaient au-delà de la gare
et Liza ne cessait de demander :

POURQUOI LA MORT EST SI PETITE, L’AMOUR IDIOT ET L’AMITIÉ DE MOITIÉ ? ? ?


Au trente-sixième dessous, Liza habitait.
Un jour, elle n’est plus jamais remontée.
J’essuie toujours, je continue
à essuyer des verres.

Ce loup est un couillon,
il se frotte aux orties
mais ne joue pas à saute-mouton.

Ce loup n’y voit pas du tout la nuit
et dort le jour.

L’abruti !

Chloé Alifax.

dimanche 10 mai 2009

UNE CHOSE ENTRE AUTRES


Par exemple, je pose un personnage et je lui dis d’attendre, qu’il soit patient parce qu’il faut que je construise le décor autour de lui, que je lui trouve une situation, des amis, ennemis, une façon d’être qui ne peut appartenir à personne d’autre. Et je vais à mon travail, mon travail de serveuse. Un travail que j’exerce dans un petit restaurant snack et bar. Un établissement carré qui se situe en face d’une gare, un rond-point, immeubles bureaux, « A louer », « A vendre », « Occupés ». Et je ne cesse de penser à mon personnage, je le vois en train de poireauter, de se dire « Qu’est-ce qu’elle fout ! » et de soupirer soupirer à en faire bouger les murs de l’appartement. Le travail que je fournis n’est pas si désagréable que ça. C’est un travail debout, sur les deux jambes, pas le temps de jouer les hérons, flamands roses ou grue, il faut actionner la pompe à bière, décapsuler les bouteilles chapeau ferraille, nettoyer tables puis servir servir les assiettes salades, viandes, frites, sandwichs et desserts. Je vais fumer dans l’arrière-cour. Je m’assois sur une chaise plastique vert et je fume à la va-vite entre quatre murs qui ne refusent pas le lierre grimpant chatouilleux. Et pendant que je fume, je continue à penser au personnage, à l’histoire un peu dingue que je vais tenter de lui faire vivre, au sexe, à l’amour, aux remises en questions, à la violence qui peut surgir à tout moment. Et le personnage a besoin de remuer, même dans le huit-clos de l’appartement désert, le personnage à très très envie de gesticuler. Et « Ok, d’accord, t’as le champ libre ! » et le voici qui se lève, va à la fenêtre, ouvre le frigo, rigole devant la télé, tape tape sur les touches clavier de l’ordinateur et envoie des messages à des gens, qui ne sont pas de moi. Je grimace, je pense : « Tu exagères ! » puis j’écrase dans un cendrier chameau ou dromadaire, la fin de ma cigarette fumée à la va-vite. C’est un travail debout, sur les deux jambes, un travail qui actionne, actionne les bras, les hanches, la cervelle en trampoline. Et je ne porte pas de tenue particulière. Je suis identique à ma vie extérieure, ma vie hors restaurant snack et bar, les cheveux attachés avec un élastique, le sourire aux lèvres, pas le sourire, la politesse serveuse, le « j’en ai marre ! » quelquefois, l’équilibre sur une jambe : jamais.
Ni héron ni flamand rose ni grue.
Et puis à la débauche, tard ou pas trop, à la débauche après avoir rangé, astiqué, dis des mots comme « A demain ! », « C’est ça », « Bonne soirée… nuit… journée », à la débauche sur les deux jambes, rotules, à cloche-pied, à la sortie du restaurant snack et bar, il m’attend près de la gare, le long des immeubles bureaux, il sourit et il me lorgne tandis que j’avance dans sa direction, tandis que je suis fatiguée, énervée, électrique, il me fixe et je m’exclame, je fais les gros zieux et je m’exclame : « Je ne veux pas que tu sortes ! c’est dangereux pour toi. Tu n’es pas… tu n’es pas encore complètement terminé. Tu n’es qu’une ébauche. ». Et c’est vrai, c’est la réalité. Le personnage est biscornu, à la tête de travers, un sourire à l’envers, des mots phrases tel du gruyère, trous, râpés, tout troués.
- Oh, ça va ! il me répond. On n’y va pu se disbatter !
Ça me fait rire (glousse glousse), je lui prends la main et je déclare :
- Allez, à la maison ! j’ai une idée qui grimpe, qui grimpe.
La nuit, je dors en compagnie du personnage. Il y a aussi des routes et des virages, de la campagne et des endroits verrouillés. Des assiettes, des verres, des tables et puis des chaises, une arrière-cour avec du lierre, un cendrier chameau ou dromadaire, des pompes à bière.
Je dors profond profond. A mon réveil, je bois du café et pense « Oh, merde ! j’ai pas envie. ».
Le personnage est déjà levé, il fait du charme à son ami(e). Je les laisse se découvrir. Ce soir, ils seront deux à venir me chercher, en voiture, en scooter ou à pied.
Héron héron petit patapon !

Chloé Alifax.

vendredi 8 mai 2009

ZOÉ PARLE ET REPARLE

- Allez, on s’en va ! J’en ai marre, Chloé ! On s’en va, je te dis.
- Non, pas encore.
- Pourquoi pourquoi pourquoi ? ? ?
- Parce que c’est comme ça, Zoé. Parce que les champs brûlent sans cesse. Parce que maman est fragile. Parce que…
- Les champs brûleront toujours et maman sera éternellement fragile. Je veux vivre, je veux vivre. Tu m’as vu, m’as tu vu. Je veux rencontrer Clarysse. Et puis Josh. Le kiwi, la mangue, la banane. Je veux que tu me fasses respirer. Vivre, vivre, vivre ! ! !
- Tu m’épuises, Zoé ! Arrête, on reste un petit peu.
- C’est nul !
- C’est comme ça, je te répète.
- C’est nul et c’est comme ça. Allons acheter des fringues !
- D’accord, on va boutiquer. Tu aimes bien ça, boutiquer. Hein, Zoé !
- Des fois oui, des fois non. Des fois oui non. Des fois.
- J’ai déjà écrit cette réplique.
- Je m’en fous. Tu es ma sœur, tu es ma très grande sœur. Je pique et je repique. Ah, oui ! exactement, c’est ça. Ah, oui !
- Hector.
- Pouffe, pouffe, pouffe…
- Maxime.
- La merde de merde ! je t’emmerde !
- Alice.
- T’es qu’une pute ! Je ne t’aime pas. T’es qu’une pute !
- Julie et…
- Clac, clac !
- Zoé.
- On prend la bagnole, on y va. J’aime boutiquer.
- Ok, c’est parti !
- Clac, clac !

Quelques kilomètres avant la moyenne ville. Zoé assise sur le siège mort, Zoé qui regarde, regarde le bout du monde défiler, Zoé qui écarquille des yeux, qui est née, qui laisse l’air s’amuser avec ses cheveux, ses longs et noirs cheveux.
- Wahou !
- Quoi, wahou ?
- Ça file et ça refile ! Est-ce que l’on va mourir ?
- Pourquoi tu me demandes ça ? ! Tout à l’heure, tu voulais vivre. Vivre, vivre, vivre !
- Oui, mais dans l’histoire. L’histoire que tu vas raconter. Est-ce que tu as prévu que l’on meurt?
- Je n’en sais rien, Zoé. Je n’en ai aucune idée. Peut-être. De toute façon, pour l’instant, il n’y a rien d’écrit.
- T’as peur ?
- De quoi ?
- D’écrire. De nous faire vivre. Moi, Clarysse, Jo…
- Comme à chaque fois. J’ai toujours peur et puis après… ça fonce.
- Ça fonce et ça refonce. Tu m’habilles, là, n’est-ce pas ? Tu m’habilles.
- Je te modèle. Je teste des phrases, des mots phrases. Je crée ta personnalité.
- C’est cool, la personnalité. Je boulitte, tu boulittes, nous boulittons. C’est cool, le modelage.
- Pourquoi tu dis souvent des choses sans queue ni tête ? Qu’est-ce que ça veut dire : Je boulitte, tu bou…
- On fait les curieuses. On boulitte. Dans le trou de la serrure, dans la fissure, on jette un œil, on se marre, on fait : « chuttt ! chuuutttt ! ! ! ».
- Ah, oui ? !
- Ah, oui.
- Bien, bien, bien.
- C’est encore loin ?
- On arrive.
- T’as de belles jambes.
- Merci.
- Oh, comme tu as de belles jambes, grande sœur !
- C’est pour mieux te séduire, ma Zoé.
- Et miam et re-miam ! Je veux les mêmes.
- Tu as les mêmes. Plus douces.
- Chouette !
- On y est.

Zoé, dix-sept ans. Zoé dans les boutiques. Zoé mode et puis sexy. Zoé chaleur du corps, Zoé séduction. Et…
- Josh va être fou !
- Tu es très belle.
- Les jupes ça allume mais il ne faut rien mettre dessous. Les jeans sont malins, il faut les choisir bas sur les hanches. Et les tops sont oranges, rouges ou jaune soleil, et les petits seins sont libres, ils pointent et ils repointent. Et les chaussures ?…
- A toi de voir.
- Des baskets et des montantes et des basses. De la toile, croûte de cuir mais pas de talons. Pas de bottes ou des fois, si. Des lanières, c’est pas mal. Ou pieds nus, ou pieds nus.
- Sous-vêtements ?
- Le moins possible. Ca étouffe. Le minimum. Clarysse porte des culottes en coton. Il était un petit navire…
- Comment tu le sais ?
- Quoi ?
- Pour Clarysse.
- Je n’en sais rien. Je t’aide, c’est tout. Clarysse porte des culottes en coton, Josh : des caleçons pas longs et moi : le minimum. Je suis économe, économie. Je pique pas dans ton porte-monnaie. Économe, économie. Je suis sérieuse, oh oui ! Très très sérieuse.
- Tu parles !
- Toi aussi. Tu parles et tu reparles. Tu fais « Clac, clac ! » avec ta langue et tu es nue sous tes vêtements. Chloé/Zoé vont faire des ravages, ravagées. On continue de boutiquer ?
Jamais aimé une fille aussi violemment.

Manger une gaufre, manger du chocolat, manger une gaufre au chocolat. Boire de la framboise avec une paille torsadée et bariolée. Boire la bouche en cœur. Lolita, Lolita Gun. Etre au soleil, lunettes mouche, être à découvert, peau cuisses et seins pointus.
Lolita, Lolita Gun.
Et puis SE TIRER !
- Alors, dans pas longtemps, tu me le promets ? Dans pas longtemps, hein Chloé ?
- Après ici, après maman. Dans pas trop longtemps, oui. C’est ma promesse.
- Les champs brûlent, c’est tout un feu. Les champs brûlent jusqu’aux Dieux. Il y en a un, il y en a deux , il y en a plein les cieux. Les champs brûlent. La tarentule mangera mangera la cervelle, le ventre, le miaou et tout le tralala. C’est pas digeste dans mon assiette.
- Ça ne rime plus, Zoé.
- Assiette siette siette, n’aime pas les miettes.

Digeste/peste

Ce matin, maman m’a promis une chose, des faits, des gestes.
C’était SA promesse.
Le feu semble vouloir se calmer, retourner sous la terre.
Zoé se balade dans la maison au bout du monde.
Je la regarde, je regarde maman.
Le ciel a des allures de chaudron d’or.
Je veille.

Chloé Alifax.

Conte de la nuit tombé N°1

Un jour, le 10 mai, dans un immeuble on vit de la fumée s’échapper d’une fenêtre. C’était au 28 de la rue du Choumerave, au septième étage. Le voisin de palier téléphona tout de suite aux pompiers.

- Allo monsieur le pompier chef, il y a de la fumée qui s’échappe de chez mon voisin…
- A vot’service monsieur le citoyen donnez-moi votre adresse.

Et le voisin la donna. Le pompier chef sauta dans son camion rouge et appela ses pompiers personnels.

- Allez, allez on va éteindre le feu rue du Choumerave.

Les pompiers mirent leurs blousons, leurs casques, et leur masques anti-fumée et sautèrent dans le camion. Ils pim-pon pim-pon pèrent dans toute la ville avant d’arriver rue du Choumerave.

Là deux pompiers prirent l’escalier et deux autres, dont le pompier chef firent monter l’échelle.

Ouf-ouf faisaient les pompiers qui montaient au septième par l’escalier. Grink-grink faisait l’échelle qui montait au septième par la façade. Pendant ce temps-là tout le monde criait. Au feu ! Au feu ! Même ceux qui ne savaient pas pourquoi criaient. Le voisin était penché par la fenêtre et appelait tous les pompiers du monde. Au feuuuu ! Sa femme était obligée de le retenir par la ceinture pour pas qu’il tombe par la fenêtre.

Finalement le pompier-chef grimpa sur l’échelle et arriva au niveau du 7ème étage. Une énorme fumée blanche sortait par la fenêtre et il n’y voyait rien. Alors il brandit sa lance à incendie qui est en fait un gros tuyau et pas du tout une lance pour les tournois et entra dans l’appartement.

Au même moment les pompiers de l’escalier, étaient arrivés, très très fatigués et frappaient à la porte.

- Ouvrez ! pompiers ! ouvrez ! c’est un ordre ! pompier !

Que se passait-il dans l’appartement ? Le pompier-chef qu’avait-il découvert ? Pourquoi faisait-il cette tête héberluée ? Et bien, ça alors, parce qu’il y avait dans le salon un bébé dragon qui ronflait. C’est gros un bébé dragon, c’est même plus gros qu’un bébé dinosaure. Et en plus ce bébé dragon qui dormait à côté d’un petit garçon, il avait la bronchite.

C’est pour ça qu’il y avait de la fumée. Explication : dans les poumons des dragons il y a des braises. Quand le dragon veut faire du feu il n’a qu’à souffler un grand coup. Mais quand il a un rhume ou une bronchite, le dragon attise ses braises, ça le fait ronfler, et il sort une grosse fumée pleine de trucs gluants.

Le pompier chef qui continuait à dire, c’est dingue en vingt ans de carrière j’ai jamais vu ça, fut bientôt rejoint par les pompiers d’escaliers qui avaient fini par casser la porte avec des haches à incendie. Une hache à incendie contrairement à une lance à incendie ça ressemble à une hache de tournoi. C’est une hache quoi.

Bon, alors qu’est-ce qu’on fait, et bien, ils réveillèrent l’enfant. Qui leur expliqua en éternuant que son pote le dragon était trop malade, qu’il avait atterri chez lui le matin et qu’il avait 639 de fièvre. Normalement, à cause des braises dans les poumons dont on vient de parler avant, un dragon ça fait 637 de température quand c’est pas malade. Mais là, grosse température.

Le chef pompier vaporisa alors dans les naseaux du dragon un spray anti-ronfle. Et la fumée se dissipa. Ensuite ils lui firent prendre des vitamines XZC 8, très importante dans la croissance des dragons. Tout ça sans le réveiller. C’est bon les pompiers, c’est prêt à tout.

Et le lendemain, le bébé dragon, guéri, put s’envoler pour rejoindre sa maman. Car, on ne vous l’avait pas dit, mais c’était la période de migration des dragons. Suffit de lever les yeux, le 10 mai, il en passe toutes les deux heures.

Denis Parent

mercredi 6 mai 2009

LA FILLE A UNE JAMBE

J’ai commencé à écrire au centre. En plus des dessins, je me suis mise à griffonner des mots, des bouts de phrases. LES médecins m’ont donné un carnet pour dessiner et un second pour l’écriture. Parfois, je mélangeais les deux, mêlais le blabla à la fille à une jambe. Et parfois encore, je laissais la page blanche, blanche et quadrillée, ou alors seulement un point au milieu de la page, un point rouge identique à la lorgnette du ventre, au nombril, à la naissance. Et LES médecins me demandaient : « Qu’est-ce que cela veut dire, Chloé ? Que signifie ce point ? ». Et je répondais qu’il fallait approcher l’œil de la lorgnette, y faire un trou et coller l’œil à ce trou.
- Oui, et alors ?
- C’est à vous de voir. Vous avez vu ? Qu’avez-vous vu ? C’est le grand mystère, non?
LES médecins ne regardaient pas tous par la lorgnette, un seul acceptait de jouer le jeu, et il fixait Chloé par le trou nombril, et il restait silencieux à examiner Chloé, et il finissait par avouer :
- Je vous vois. Je vois votre visage au travers du trou. Cela prouve que vous êtes vivante, présente et bien vivante.
- Peut-être. C’est le grand mystère. Si vous regardez ailleurs, vous verrez autre chose. Je disparaîtrai et vous verrez quelque chose d’autre. A ce moment là, je cesserai d’exister pour vous et votre œil fouineur et vous m’oublierez en un clignement de paupière.
LES médecins notaient des impressions, se parlaient à l’oreille, hochaient la tête, silencieux, faisaient du « d’accord, d’accord » en agitant leur tête et en verrouillant leur bouche. Et puis, ils lisaient ce que j’écrivais. Ils se concentraient sur les phrases, les histoires bancales, les : « le sexe de l’homme est un gros serpent. », « maman déteste les macarons, ça fait caca. », « le garçon abandonné pleurait quand il jouissait », « j’aimerai des bras écharpes, des bras autour de moi. »… LES médecins voulaient savoir l’amour de Chloé, le corps envie, le cerveau sexe qui demande à être assouvi, et je racontais des bouts d’intimité, des morceaux humides, l’agitation des doigts, de la langue qui sort, qui rentre, qui lèche l’air de la chambre centre, de l’appartement dans la ville aux multiples labyrinthes.
- C’est très bien, Chloé. Il ne faut pas que vous refusiez le plaisir charnel. Il faut rejeter la frustration et accepter que votre corps ait besoin de jouissance. La vie doit être une sorte de satisfaction, elle ne doit pas être étouffée par une morale assassine.
Mais il était aussi question des mutilations, du cercle sang autour du nombril, des coupures rasoirs, de faire ainsi réagir la peau, qu’elle ne meurt pas. Et là, LES médecins cherchaient dans l’enfance de Chloé, ils revenaient aux bonnes vieilles méthodes de psychanalyse, ils citaient des mots comme : « traumatisme », «religion», « dégoût de soi », « alors, alors… ». Et je répondais « Tout faux », et je disais : « C’est pour être vivante. Si mon corps souffre, c’est qu’il est vivant. Le jour où la douleur s’en va, la mort est arrivée. Les morts ne parlent plus parce que la souffrance les a déserté. Et la souffrance tient la main du plaisir. S’il n’y a plus de souffrance, le plaisir ne peut exister, ils sont indissociables. Ok ? ! »
- Et ici, au centre, vous pensez encore à vous faire souffrir ?
- Non, j’en ai terminé. Je ferme les yeux et j’imagine. J’embrasse l’air de la chambre barreaux et je fais galoper mes doigts. J’apprends les grains de la peau. Le souffle chaud.
- Qu’est-ce que vous imaginez ?
- Des formes, des êtres humains. Des situations… érotiques.
- Avec des garçons, des filles ? Sur quel genre votre imagination se focalise-t-elle?
- Les deux. Et puis parfois, moi. Seulement moi. Je me vois dans le noir du cerveau. Je me vois et je me souris. C’est très souvent trouble. Troublant et trouble. J’imagine beaucoup, plusieurs fois par jour.
LES médecins m’ont permis d’emmener les carnets après ma sortie du centre. Ils m’ont conseillé de continuer d’écrire, que cela était une excellente thérapie, le dessin également et :
- Vous avez quelque chose, là, au bout de vos doigts. Prenez-en soin, développez-le.
Il y avait en tout et pour tout, une dizaine de carnets, plus ou moins remplis. Des points lorgnette, des blabla quand je faisais la serveuse, des flash du bout du monde, des sexes serpents, des minous minous, des crises mutilations. Louise a eu accès à ces carnets, aux autres, ensuite. Je n’ai rien caché à Louise. Elle a tout emporté dans sa mémoire lorsqu’elle est partie. Mon cœur, ma vie et la fille à une jambe, claudique claudique.

Chloé Alifax.

Gigolo en négatif

Glory Hole, gamine pourrie gâtée,
Gémissait lorsque, sans gêne, givré,
Je goûtais au galbe glabre du globe
Gauche et gloussant, qu’en ma bouche je gobe.

Et la douce gorge de cette gosse
N’était que graffitis et gribouillis,
Grosses griffures, gerçures et bosses.
(Ah ! La géante glu de galaxies !)

Petite garce à la grâce grimaçante,
Ma garçonne gourgandine et gueulante,
Tu glisses goutte à goutte sous mes gifles ;
J’avoue - à genoux - je t’aime... Quelle chiffe

Molle, toujours molle, est ma guitare
Sans tes gestes gourmés faisant grincer
Chaque grain de ma peau sans crier gare.
(J’attendrai demain pour mes giboulées.)

Glory Hole, plus trouée que glorieuse,
Possède une jolie lune gibbeuse
Et un goémon qui, sans gloriole,
Est goinfre de gouache, de godriole.

Alors je guinche dans les galeries
Garances, que son corps de geisha m’offre,
Mon glaive gonflé crève son glacis
(le glacis gluant au fond de son coffre).

Sonne le gong en un geyser de gin,
Je bois par goulées ma goule ; son jean
Guimauve gît sur le sol gustatif :
Je suis un gigolo en négatif.

Alexandra Geyser

Demain verra son bond

J’ai rêvé que je survolais la savane avec mon fils sur le dos. On était comme des busards au-dessus d’une caravane harcelée par des fauves, essentiellement des lions. Sauf qu’on essayait de protéger les braves rampants, qui, pour la plupart étaient des proches, des amis, des voisins ou des psys. Tu y étais, lecteur, dans cette caravane et tu sentais tourbillonner l’odeur jaune et acre du grand félin. Parfois quand ton voisin, celui qui marchait derrière toi se faisait happer par un des monstres, je tombais en piqué, mon fils cramponné à mes épaules et je lattais la gueule au roi de la jungle. Furieux il tournait la tête et laissait tomber sa proie, mais j’étais déjà remonté à hauteur de cerf-volant. Vu d’en haut, les 350 kilos d’un lion ça pèse rien, son rugissement c’est l’écho du vent dans une conque. Ce sont les fauves de la nuit qui sont redoutables, ceux qu’on ne voit pas, qui glissent d’ombres en ombres dans les tapinois de la chambre. Parfois dans l’insomnie tu entends, dans les infras basses, ronronner ta propre panique. En me réveillant j’ai pensé à ce merveilleux vers de René Char que j’avais tant aimé quand j’avais trente ans et que, depuis, j’avais oublié :
« Aujourd’hui est un fauve, demain verra son bond »

Denis Parent

mardi 5 mai 2009

Easy Basile



Chanson pour le roman : Le garçon qui dessinait des soleils noirs.

UNE SALE PETITE HISTOIRE

« Où veux-tu en venir ? » me demandait Alex et je lui répondais « Nulle part, nulle part. Mais si tu t’en vas, je te retrouverai et je te tuerai. ». Et je ne bougeais pas du lit où j’étais étendue, je ne faisais aucun geste déplacé, je me contentais de lire le roman que j’avais entre les mains, un roman à la couverture écornée, un roman que j’avais dû bouquiner au moins cinq à six fois. Et Alex se promenait dans l’appartement, un appartement important, très classe, très spacieux, et il regardait par l’une des fenêtres de cet appartement et il murmurait, le nez presque collé au carreau : « La ville est grande, il y a des milliers de cachettes. Le monde est gigantesque, j’ai sûrement des chances de m’en sortir. ». Et je souriais derrière la couverture écornée, je souriais maligne, déterminée, je souriais blessée, cœur saignant mais prédatrice, tueuse, folle, prête à tout pour qu’Alex ne s’en sorte pas, pour qu’il oublie l’autre salope rencontrée au hasard de rien, et je répétais, voix blanche, mécanique, monocorde, sans issue : « Je te dis seulement ça : Si tu t’en vas, je te retrouverai et je te tuerai. C’est tout. ». Et Alex n’en croyait pas un mot. Et Alex n’avait pas peur de mourir. Et Alex aimait l’autre salope de hasard. Et Alex riait, riait pour m’énerver, il se moquait avec son corps élancé, ses cheveux courts et châtains, ses mains fines fines qui ne caressaient plus, ses yeux verts envolés ailleurs, trop ailleurs, insouciant, amoureux, vivant, assez dingue pour jouer au chat et à la souris. « Je te tuerai, Alex. Je te retrouverai et je te tuerai. ». Et son rire montait dans l’appartement très classe, très spacieux et il glissait dans chaque pièce, chaque recoin et je ne pouvais plus l’attraper, plus le cajoler, il était déjà à quelqu’un d’autre, il prenait du large et je savais que jamais je ne retrouverai Alex, je savais que la mort se foutait de posséder son corps, et j’étais triste derrière la couverture écornée, j’étais seule et triste et je lisais « After Delores », after Alex, pour la cinquième ou sixième fois. J’en étais là, au chapitre un. Là, avec un flingue, une errance, un flingue et une furieuse envie de m’en servir.

Chloé Alifax.

lundi 4 mai 2009

La fuite du temps

- Il fait au moins quarante degrés à l'ombre dans ton pays ?"
me demande-t-elle, glaciale.
Avant, elle me disait :
- A tes souhaits !"
C'était gentil.
Et maintenant,
Chaque fois que j'éternue,
Elle me prend pour un mexicain.


Jérôme Attal

samedi 2 mai 2009

Un méchant souvenir, Saleté !


SOR-CI-IÈRE

La petite Zoé était bien drôle
Elle coupait les bras de ses poupées puis donnait des claques au chat tout fripé
La petite Zoé avait de l’allure
Oh oui !
Une sacrée et sacrée allure
Elle faisait pleurer le soleil et les nuages trop chauds ne savaient plus comment
Voyager au milieu des tourments et des cieux qui étaient tout sta
Tout statiques

La petite Zoé fumait du charbon de l’herbe folle ainsi que des troncs
Elle poinçonnait le cœur de sa maman faisait blablater son papa
Et ne voulait pas
Oh non ! ne voulait pas un marmot de plus dans cette maison qui sentait l’oignon

Elle en connaissait des chansons des placards des coliques de la colère
Ou des coquelicots ( ?)
Elle fredonnait sifflait rarement dessinait avec des allumettes brûlées :
Des fleuves
Des bassines d’eau
De la lave laverie
Personne ne riait
Elle s’en donnait à cœur joie
Dessine dessinait l’abreuvoir aux cochons

La petite Zoé me disait « bonjour » : que fait-on comme conneries aujourd’hui
Et dans mon cœur elle battait des cils des paupières de la cervelle
Jouait de la guimbarde du pistolet à clou frotte frotte la pierre du briquet
La mèche éméchée le joli feu de camp que voilà

« C’est un garçon c’est une fille c’est diablerie » disaient les gens
« Il faut briser les ailes vider le fiel empoisonner la mauvaise âme »
Et mon cœur mon cœur ne s’ouvrait pas et la petite Zoé courrait si vite sur le chemin
des artères
ventre à terre puis terrassée rapide rapide se réfugier dans le placard encore l’armoire
serrure bouclée zieux dans le noir

Mais la petit Zoé a mal tourné son corps si frêle s’est développé
Et ses membres sa tête son alouette ont voulu voir bien au-delà :
Des poupées
Des chats fripés
Maison oignon
Pour blablater

Mon cœur mon cœur je t’ai perdu
Vendu à tort c’est une raison
De plus
Pour rattraper ce que je n’ai pas su garder :
Une chanson
Une sor-ci-ière
Dans ton placard à balais
Fais attention petite Zoé
A ton derrière

Chloé Alifax.

"Fleur cactus" de Saleté ! lu par Audrey Vernon


Les filles ont la zézette en forme de coccinelle

Les filles ont la zézette en forme de coccinelle
Pensais-je à quatorze ans.
L’amour se pose ici puis se barre à tire d’ailes
C’est vraiment dégoûtant.
Le printemps va passer, j’ai à peine souffert,
Adieu c’est déjà ça
L’avenir est semé de passions délétères
Et la bête à bon dieu au diable s’en ira.

Les filles ont la zézette en forme de coccinelle,
Le cœur j’en parle même pas.


Jérôme Attal

vendredi 1 mai 2009

FICTION

J’ai redressé maman. J’ai redressé maman sur le siège passager de la voiture. J’ai fait une sorte d’embardée vers le bas-côté de la route puis je me suis penchée vers maman et je l’ai redressée. Elle continuait à cracher du sang. De minces filets épais et gluants qui lui coulaient sur le menton, la gorge, ses vêtements. J’ai dit : « Ça va aller », j’ai dit n’importe quoi. J’ai cherché un mouchoir dans mes poches et j’ai essuyé le menton, la gorge, je l’ai collé sur la bouche au moment où un jet plus puissant que les autres a voulu s’éjecter. Maman a râlé, elle s’est plainte qu’elle avait mal, que ça lui tordait l’intérieur et elle a encore hoqueté, et ses yeux étaient clos, et son visage transpirait, et sa peau était grimaçante. Et j’ai tenté de l’essuyer encore encore avec le mouchoir, mais le tissu était imbibé de sang, étouffé par le sang, gorgé, et je l’ai jeté à mes pieds et j’ai quitté mon blouson et j’ai nettoyé la figure de maman à l’aide de l’une des manches et maman a respiré presque normalement, elle a ouvert les yeux, son regard brouillé par la souffrance et les larmes, les larmes de la souffrance, et elle a murmuré : « Quelle nuit noire ! » et j’ai répondu : « Oui » et je lui ai demandé : « On repart ? » et elle a hoché la tête et l’odeur du sang épais et gluant envahissait l’habitacle de la voiture, une odeur de cancer, une odeur de maladie, et je n’ai pas abaissé ma vitre, et j’ai laissé la chaleur rance dans la voiture, pas de froid pour maman, pas de mois de novembre, pas de courant d’air, déjà le cancer, la maladie, pas d’autre chose, la tombe de papa, oui, la tombe de papa à l’instant où maman sait qu’elle va bientôt aller le rejoindre, la tombe et moi, moi qui l’accompagne, maman qui me l’a demandé, moi qui propulse la voiture loin du bas-côté. Cette nuit. Cette nuit novembre noir. Cette nuit au travers de laquelle nous roulons depuis bientôt deux heures. Mais avant, avant cela, avant la prière de maman pour voir une dernière fois la tombe, avant la route, le sang qui coule à la maison, le sang qui coule dans la voiture, le corps qui se vide, avant… pas d’hôpital, à peine des consultations, refuser, refuser, mourir dignement, mourir salement, « Mourir à tes côtés, ma fille », mourir après la tombe, cette nuit novembre noir, ce cri rauque dans le lit maman, et je sais, je sais, on y va… le sang sur les draps, l’arrêt, ça recommence, l’accalmie voiture, la reprise, on repart, on repart… « Mon mari, mon homme », je suis sa fille, je suis leur enfant, unique enfant, ensuite je le serai toujours mais seule dans toutes les nuits, les jours, les matins. N’y pense pas, conduis, conduis. Cette odeur de cancer. Cette chose éclatée à l’intérieur maman. Cette chose qui se vide, qui se vide. Et…
et j’ai allumé l’autoradio. Et j’ai voulu masquer la respiration orage de maman, et mes doigts étaient blêmes, serrés et blêmes sur le volant, et j’ai allumé l’autoradio.

Et il n’y avait pas de circulation. Pas de phares aveuglants pour faire mal aux yeux de maman. Il y avait la route, la route longue, longue, la route entourée de champs, des champs dans les ténèbres, des champs déserts de nuit novembre noir. Et maman écoutait l’autoradio. Et maman sentait sa tête partir vers la portière. Et maman essayait de se maintenir à peu près droite. Mais… mais non, non. Bien sûr que non. Le corps devenait mou. Plié, plié. Le corps qui redevient enfant. Fœtus, fœtus. C’est la voix qui change. Vous savez ça ? La voix change radicalement. Elle n’émet plus les sons adultes. Elle parle toute fragile, toute aiguë, elle parle le langage de l’enfance. Même, même dans un corps d’adulte, elle est enfant, elle dit des mots phrases comme : « J’aime bien cette chanson. Elle est jolie. » mais elle les dit avec le timbre de l’enfant, l’âge de jouer, de découvrir, l’âge de l’insouciance, l’âge de naître, de renaître après la mort, ça revient en arrière… Vous le savez ça ?… Ce recommencement, éternel, maman adulte malade cancer et enfant. Ma maman qui fait l’enfant, qui est de nouveau habitée par l’enfant, qui arrive à me sourire, tout doux, tout doux, qui regarde son enfant avec des yeux d’enfant. Vous le savez ça ?

Oh maman, ma maman ! je suis tellement seule au moment où j’écris cette fiction. Oh maman ! tu le sais, toi. N’est-ce pas ? Tu le sais…

Et puis…
et puis le long long mur du cimetière, les phares jaunes voiture qui éclaboussent le long long mur du cimetière. « Ah !nous sommes arrivées. Tant mieux, tant mieux ! » a déclaré maman, et vite vite, vouloir descendre de la voiture, mais impossible, pas la rapidité, les doigts sans force, les doigts caoutchouc de maman, et moi à répéter que je vais l’aider, et maman à ravaler sa bile sang, à jurer contre sa faiblesse, la malade, maladie cancer, et : « Tiens ! appuie-toi sur moi. On avance, on avance. ». Et la porte côté concierge, la porte ouverte, jamais crochetée, la porte en direction des allées cyprès, la porte vers les chemins graviers graviers, que la nuit est noire, que la lune est pâle, « Je serai propre pour mon mari, mon homme. Je serai présentable pour Lui. Ton papa, mon mari, mon homme. ». Cette tombe. Ce petit caveau marbre gris. Allée cyprès numéro dix. Cette tombe. « Mon homme, mon amour. Bonsoir, mon mari. Notre fille est un ange. »
Je me souviens que maman n’a plus bougé devant la dernière demeure de papa. Je me souviens de son corps tout fluet contre moi. Son corps vide, vidé. La nuit novembre noir silencieuse. J’ai souri à papa. J’ai souri au caveau. Nous étions une famille d’indiens. Nous étions déracinés. J’ai ce sang là dans mes veines. Le sang des combats. De la vérité. Sous la nuit obscure, sous la lune transparente. Nous étions ensembles, réunis, prêts à être séparé.

Oh maman, ma maman ! je suis là. Je vais revenir. Je suis là.

Le bras droit autour de la taille de maman. Face à papa. Sous la nuit de novembre noir. Face à la tombe. Déracinés sur une terre brûlée. Il y avait tant d’amour, encore, à partager.
La mort enfant nous enveloppait.
Vous le savez, maintenant.

Chloé Alifax.

Ballade pour un soleil noir

Monster of Bordel



Monster of Bordel – Erwan Denis, 2008